La filière des viandes rouges est, aujourd’hui, confrontée à une ribambelle de problèmes, tels que la baisse du nombre des éleveurs, l’explosion du fléau du vol du bétail, la persistance de la sécheresse et la hausse exponentielle du coût de l’alimentation animale. Face à cette situation intenable, agriculteurs et commerçants de viandes rouges appellent à rééquilibrer la filière.
Intervenant lors d’un webinaire organisé, récemment par l’Iace et traitant des difficultés auxquelles fait face la filière des viandes rouges, le membre du bureau exécutif de l’Utap, Mnawer Sghaier, a souligné la nécessité d’élaborer une vision commune qui permet de redresser la filière, aujourd’hui, mise à mal. Construite selon une approche participative impliquant toutes les parties prenantes, cette vision devrait reposer sur plusieurs axes.
Il s’agit, selon l’intervenant, de booster l’investissement dans le secteur de l’élevage, mais aussi de veiller à l’application de la loi, notamment concernant l’interdiction d’abattage des brebis, de favoriser l’organisation professionnelle des agriculteurs et de revoir les circuits de commercialisation des viandes rouges en Tunisie (et même l’instauration d’une classification des viandes de boucherie). «En l’absence d’une vision stratégique, chaque agriculteur fait cavalier seul et essaie de résoudre les problèmes à son niveau», a-t-il regretté.
Erosion du cheptel
Sghaier a ajouté que la filière est, aujourd’hui, confrontée à une ribambelle de problèmes, tels que la baisse du nombre des éleveurs, l’explosion du fléau du vol du bétail et la hausse exponentielle du coût de l’alimentation animale importée. Face à cette situation intenable, plusieurs éleveurs ont rendu le tablier, tandis qu’une grande partie d’entre eux ont choisi de poursuivre l’activité malgré les pertes, et ce, dans le seul but de préserver leurs cheptels.
Mettant en garde contre l’érosion du cheptel bovin qui est estimé à 388.000 vaches, Sghaier a fait savoir que le déficit d’aliments pour bétails (dont les estimations sont aux alentours de 40% selon l’Utap et de 25% selon le ministère de l’Agriculture), a causé un manque à gagner d’environ 35.000 t au niveau de la production annuelle des viandes rouges. Abondant dans le même sens, Kamel Rejaibi, directeur général du Groupement interprofessionnel des viandes rouges et du lait (Givlait), a indiqué que la vente d’une partie du cheptel est un comportement économique.
«Un éleveur, qui ne rentre plus dans ses frais, vend automatiquement ses vaches», a-t-il expliqué. Il a ajouté que la crise des marchés mondiaux des aliments de bétail a exacerbé les difficultés structurelles auxquelles fait face la filière. Rejaibi n’a pas omis de pointer l’effritement de la gouvernance de la filière, mais aussi les conséquences négatives de la sécheresse sur la production des viandes rouges, faisant savoir qu’une vache consomme en moyenne 100 litres d’eau par jour.
Pour lui, le secteur des viandes rouges fait les frais des problèmes de la filière lait, deux filières réciproquement liées.
Un marché à flux tendu
Soulignant que le marché des viandes rouges est un marché à flux tendu, Tarek Ben Jazia, P.-d.g. de la société «Ellouhoum», a fait savoir que la consommation nationale en cette denrée chère s’élève à 130.000 t par an, alors que la production est aux alentours de 127.000 t.
Au cours des dernières années, la consommation moyenne des viandes rouges en Tunisie n’a cessé de baisser.
Elle est passée de 9,5 kg par an en 2020 à 8 kg en 2022. Ces chiffres s’expliquent par l’érosion du pouvoir d’achat des Tunisiens et par la maigre part des dépenses que consacre le consommateur à l’achat des viandes rouges.
Une consommation qui se distingue, de surcroît, par sa saisonnalité. Mettant l’accent sur le rôle régulateur de la société «Ellouhoum», Ben Jazia a fait savoir qu’une récente opération d’importation de 200 t de viandes rouges visant à réguler le marché a échoué en raison des prix de vente exorbitants pratiqués sur le marché international (8,5 euros pour le kilo). De son côté, Slaheddine Ferchiou, président de la Chambre nationale des commerçants des viandes rouges, a souligné la nécessité de subventionner l’alimentation animale, mais aussi d’augmenter le prix du lait tous les trois mois de façon à équilibrer le revenu de l’agriculteur. Pour lui, tous les problèmes de la filière puisent leur origine dans la politique interventionniste que l’Etat mène dans ce secteur. «Nous sommes sur la mauvaise voie. Il faut rééquilibrer la filière. Et cela prendra quatre ans», a-t-il précisé.